Planifier sa succession à travers sa prévoyance professionnelle en 6 réflexions

En cas de décès, les avoirs liés à la prévoyance professionnelle peuvent être distribués de différentes manières, selon les dispositions de la clause bénéficiaire. Non soumis au droit des successions, ils représentent un intéressant levier pour favoriser un héritier ou un proche. Voici les bonnes questions à se poser pour une planification optimale.

Entrée en vigueur le 1er janvier 2023, la révision du droit des successions offre une plus grande liberté dans l’attribution de ses biens après son décès : jusqu’à la moitié de ceux-ci peuvent l’être à des personnes qui ne font pas partie du cercle des héritiers légaux. Mais la prévoyance professionnelle, qui n’est pas concernée par cette révision, offre encore davantage de souplesse en matière de planification successorale. Rappelons un principe fondamental: les avoirs de la prévoyance professionnelle versés sous forme de capital aux bénéficiaires ne viennent pas augmenter la masse de calcul des réserves. Autrement dit, le capital de prévoyance perçu par les bénéficiaires et/ou héritiers (ci-après les bénéficiaires) ne doit pas être partagé avec d’autres héritiers réservataires ou légaux. Cette règle confère à elle seule un avantage quasi unique à la prévoyance professionnelle en matière de planification successorale. Toutefois, il faut garder à l’esprit que les situations liées au décès de l’assuré sont traitées différemment dans chaque institution de prévoyance, certaines institutions étant plus conservatrices que d’autres.

 

Nous débuterons notre analyse par quelques considérations sur l’importance des dispositions du règlement de prévoyance qui définissent la clause bénéficiaire. Nous traiterons ensuite des possibilités qu’offre cette clause au disposant (ci-après l’assuré) pour favoriser son conjoint survivant ou partenaire enregistré survivant (ci-après le conjoint), ses enfants mineurs (moins de 18 ans) ou en formation jusqu’à 25 ans (ci-après orphelins), ses enfants majeurs (de 18 ans révolus et plus en formation), ses parents, ses frères et sœurs et ses autres héritiers légaux, ou encore son concubin. Enfin, nous nous pencherons sur les versements facultatifs (ci-après les rachats d’années) financés durant le mariage et leur impact sur chaque régime matrimonial en cas de divorce ainsi que, pour terminer, sur l’imposition des prestations en capital.

 

Voici, dans l’ordre et en 6 réflexions, les bonnes questions à se poser.

 

1.     Pourquoi les dispositions du règlement de prévoyance qui définissent la clause bénéficiaire sont-elles primordiales ?

La Loi fédérale sur la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité et ses Ordonnances fixent un cadre pour les prestations en cas de décès en faveur des bénéficiaires. Mais c’est bel et bien le règlement de prévoyance de chaque institution qui définit les contours exacts des prestations qui seront versées. Pour connaître vos droits, une lecture attentive des dispositions régissant la clause bénéficiaire est donc indispensable. Ces dispositions déterminent qui sont les bénéficiaires, ainsi que l’ordre de priorité de chacun d’eux selon un système en cascade, dans lequel les premiers excluent les suivants. Elles définissent si cet ordre peut être modifié (et dans l’affirmative, de quelle manière), le type de prestation qui sera versée (capital ou rente), ainsi que la part de chaque bénéficiaire.

 

Force est de constater qu’il est de plus en plus fréquent qu’un assuré soit affilié auprès de plusieurs institutions de prévoyance. Dans un tel cas, il convient d’analyser chaque règlement puisque tous ces règlements seront applicables. Il faut également souligner que les bénéficiaires de la prévoyance professionnelle ne peuvent pas être désignés par testament ou par pacte successoral.

 

2.     À quoi faut-il faire attention si le but est de favoriser son conjoint ?

Si le but est de favoriser son conjoint par l’attribution d’un capital décès, alors la clause bénéficiaire la plus restrictive peut y faire obstacle. En effet, dans un grand nombre d’institutions de prévoyance, seule une rente de conjoint est servie (il faut que le conjoint survivant ait des enfants à charge, ou soit âgé de plus de 45 ans et que le mariage ait duré au moins 5 ans). Lorsque la rente est fixée en fonction du salaire de l’assuré, les cotisations épargne ou d’éventuels rachats d’années supplémentaires n’améliorent aucunement la rente du conjoint survivant.

 

Rares sont les institutions de prévoyance qui offrent le choix entre la rente et le capital accumulé au moment du décès. La plupart versent le capital accumulé excédant la rente de conjoint capitalisée. Les moins restrictives ajoutent le capital accumulé grâce aux rachats d’années. Enfin, les plus généreuses permettent le cumul de la rente de conjoint et du capital accumulé au moment du décès. Tout aussi généreuses mais très rares sont celles qui permettent de percevoir la rente de conjoint sous forme de capital (calcul actuariel selon l’espérance de vie du conjoint), additionnée au capital accumulé.

 

En présence d’institutions de prévoyance dont les règlements permettent le versement du capital en lieu et place d’un rente au conjoint, respectivement prennent en compte les rachats effectués pour fixer la rente versée au conjoint survivant, une manière efficace d’avantager son conjoint serait d’effectuer des rachats d’années importants auprès de son institution de prévoyance, afin d’éviter le partage des sommes avec d’autres héritiers. On rappellera à cet égard que les rachats d’années viennent en déduction du revenu imposable.

 

Un autre avantage de la prévoyance professionnelle réside dans le fait qu’elle permet d’assurer des capitaux supplémentaires à des coûts nettement inférieurs à ceux des assurances privées.

 

3.     Mon conjoint est bien couvert ou prédécédé. Est-il possible de favoriser les orphelins et/ou enfants majeurs ?

Il est important ici de distinguer les orphelins des enfants majeurs. En principe, les institutions de prévoyance ne prévoient pas de prestations pour les enfants majeurs. Dans un tel cas, si vous souhaitez favoriser ces derniers, il est inutile d’alimenter votre deuxième pilier. Heureusement, d’autres institutions offrent la possibilité de favoriser les enfants majeurs au même titre que les orphelins, ou même de privilégier les premiers par rapport aux seconds. Cette possibilité n’est offerte que par des institutions de prévoyance offrant une clause bénéficiaire flexible, si l’assuré a soumis une demande écrite de son vivant à l’institution de prévoyance. Sans quoi, très souvent, par défaut, seuls le conjoint et les orphelins seront bénéficiaires.

 

À titre d’exemple, un indépendant qui souhaiterait favoriser son fils majeur travaillant avec lui dans son entreprise pourrait fortement alimenter son avoir de prévoyance. Pour ce faire, il devra modifier la clause bénéficiaire en lui attribuant l’intégralité du capital décès. Cette opération est très intéressante pour le fils au décès de l’assuré, à qui l’entreprise pourra être transmise – ce qui assurera sa pérennité, mais surtout pour l’assuré lui-même, qui peut déduire fiscalement tous les montants versés au titre de rachats d’années.

 

4.      Comment favoriser mes frères et sœurs, mes parents ou autres héritiers légaux (par ex. un petit-fils, un oncle ou une tante) ?

Dans les institutions de prévoyance qui offrent la possibilité de favoriser les enfants majeurs et d’exclure le conjoint et les orphelins (voir ci-dessus), il est possible par analogie de favoriser les frères et sœurs et/ou parents de l’assuré, à parts égales ou selon une autre répartition. Dans la plupart des cas, ces choix ne sont possibles que si l’assuré en a fait la demande écrite, de son vivant. Sinon, par défaut, le conjoint et les orphelins seront souvent seuls bénéficiaires.

 

Par exemple, un salarié désirant favoriser son frère et son père pourrait alimenter de manière significative son avoir de prévoyance. Pour ce faire, il devra modifier la clause bénéficiaire en leur attribuant à parts égales l’intégralité du capital décès. Cette stratégie présente des avantages considérables pour le frère et le père au décès de l’assuré mais surtout pour l’assuré lui-même, qui pourra déduire du revenu imposables tous les montants versés au titre de rachats d’années.

 

En l’absence de tous les bénéficiaires mentionnés précédemment, restent les héritiers légaux. Dans certaines institutions de prévoyance, il est même possible de définir de son vivant l’héritier légal de son choix, comme une tante ou un petit-fils. Seule une partie du capital décès leur est réservée. Le solde restant est acquis à l’institution de prévoyance.

5.      À quoi faut-il faire attention dans le règlement de prévoyance si mon but est de favoriser mon concubin ou au contraire, de l’exclure ?

Il est de plus en plus fréquent de rencontrer une situation de concubinage, avec ou sans enfant commun. Lorsque le concubin est placé au même rang que le conjoint dans la cascade des bénéficiaires (première position), alors il sera bénéficiaire de l’intégralité du capital décès, à condition qu’il y ait eu une communauté de vie ininterrompue d’au moins 5 ans avant le décès ou au moins un enfant en commun. Dans ce cas, aucun autre bénéficiaire ne peut être désigné. Force est de constater que le concubin est nettement mieux protégé que le conjoint, les orphelins ou les enfants majeurs (voir ci-dessus). Une situation cocasse, lorsqu’on sait qu’aucun droit ne lui est reconnu dans le Code civil, en matière successorale notamment. Il convient de relever que si le règlement prévoit que l’annonce du concubin bénéficiaire doit être faite du vivant de l’assuré par écrit, aucune prestation en cas de décès ne sera versée si l’institution de prévoyance n’est pas informée du concubinage avant le décès de l’assuré.  

 

Lorsque le règlement de prévoyance prévoit que le concubin se trouve en 3e rang dans la cascade des bénéficiaires (après le conjoint et les orphelins), alors les orphelins pourraient être entièrement favorisés au détriment du concubin. À défaut d’orphelins, le concubin est seul et unique bénéficiaire. C’est un avantage significatif en faveur du concubin, à condition qu’il soit désigné du vivant de l’assuré si le règlement l’exige.

 

6.      Comment les rachats d’années financés durant le mariage sont-ils traités en cas de divorce dans chaque régime matrimonial, et quels sont les impôts dus sur le capital décès ?

Sous le régime de la participation aux acquêts et en cas de divorce, si les rachats d’années ont été financés par des acquêts, le partage se fera à hauteur de 50% en faveur de chaque époux. Si les rachats d’années ont été financés par des biens propres, l’intégralité des rachats d’années revient à l’assuré.

Sous le régime de la communauté de biens, que les rachats aient été financés par des biens communs ou des biens propres, le partage se fera à hauteur de 50% en faveur de chaque époux.

Sous le régime de la séparation des biens, l’intégralité des rachats d’années revient à l’époux qui les a financés. Mais contrairement à ce que l’on pourrait penser, si les rachats ont été financés par des revenus assimilables aux acquêts selon le régime matrimonial de la participation des acquêts (par exemple, les revenus du travail) le partage se fera à hauteur de 50% en faveur de chaque époux.

 

En cas de décès, la masse (biens propres ou biens communs) qui a financé les rachats d’années n’importe pas, seule la clause bénéficiaire du règlement de prévoyance ainsi que les éventuelles modifications faites par l’assuré trouvent application.

 

Tous les capitaux provenant de la prévoyance professionnelle en faveur d’un ou plusieurs bénéficiaires sont imposés à raison de 1/5 du taux, défini par l’impôt fédéral direct et le barème cantonal et communal. À titre d’exemple, un capital décès de 3 millions de francs versé à un bénéficiaire dans le canton de Vaud sera imposé à hauteur d’environ 270'000 francs et ce, indépendamment du lien de parenté entre l’assuré et le bénéficiaire. Si ce même montant était versé dans le cadre d’une succession, l’impôt serait d’environ 1'500'000 francs pour un concubin ou encore de 750'000 francs pour des frères et sœurs.

 

Conclusion

Il ne peut y avoir une réflexion approfondie sur sa succession sans une analyse pointue du ou des règlements de prévoyance applicables. Il est impératif de ne pas se limiter à la simple lecture de la clause bénéficiaire, mais de tenir compte de toute la latitude que celle-ci confère à l’assuré et des conditions formelles qui y sont exprimées. Comme exposé plus haut, il est possible de favoriser significativement un bénéficiaire au détriment d’un autre, y compris au détriment des héritiers réservataires ou d’un concubin. L’objectif n’est pas d’encourager les assurés à utiliser leur prévoyance professionnelle pour désavantager leurs héritiers, mais plutôt de tirer parti des outils légaux disponibles pour privilégier certains bénéficiaires. En parallèle, des économies fiscales substantielles peuvent être réalisées, tant par l’assuré (de son vivant) que par les bénéficiaires (lors du décès de l’assuré). Il est nécessaire que cette planification soit anticipée, son résultat pouvant être modifié au gré des changements que connaît la vie de l’assuré, aussi bien au niveau patrimonial que relationnel.